Wakasa :
Le développement de cette province est lié à son rôle dans le transfert vers Kyôto des productions des provinces septentrionales. En l’absence d’une grande route semblable au Tokaido le long des côtes de la Mer du Japon, l’essentiel des flux arrive par mer et se concentre dans le port d’Obama. Celui-ci s’impose rapidement comme la capitale économique de la région. Puis, par voie de terre, les marchandises atteignent les rives du lac Biwa (province d’Ômi) et de là s’embarquent pour Ôtsu au sud, la porte de la capitale.
Ce rôle essentiel explique l’intérêt que porte à cette province les puissants Hôjo dès la fondation du shôgunat de Kamakura au XIIIe siècle. Ce sont les membres de cette famille, qui détient la réalité du pouvoir, qui assurent le développement du Wakasa. Pour cette raison, la situation devient très tendue lorsque les Ashikaga renversent le premier shôgunat. Leur coup d’Etat provoque une guerre civile entre deux branches rivales de la famille impériale et les seigneurs du Wakasa soutiennent majoritairement la cour de Yoshino, opposée aux Ashikaga.
La victoire finale des Ashikaga signifie donc un renouvellement profond des familles guerrières de la province, symbolisé par l’arrivée au pouvoir de la famille Isshiki, alors même que l’installation du nouveau shôgun à Kyôto rend plus important que jamais le rôle d’Obama dans l’approvisionnement de la capitale. Le port s’ouvre même au commerce international dès le XIVe siècle. Essentiellement, on exporte des minerais (argent, cuivre, souffre), des sabres, des armures, des éventails décorés et des paravents à la feuille d’or et on importe des céramiques, des copies de textes bouddhiques, des instruments liturgiques et même des produits agricoles quand les guerres ruinent les récoltes. Des liens sont établis avec la Chine et surtout avec la Corée, qui débouchent sur l’installation de petites communautés étrangères à Obama. En 1408, une ambassade arrive même de Sumatra et un éléphant débarque dans le port !!
En 1440, le shôgun Ashikaga Yoshinori confie la province à une branche du clan Takeda, qui s’installe au château d’Ichizu. Ces guerriers combattent durant la guerre d’Ônin pour le compte des Hosokawa et le Wakasa assure l’approvisionnement de l’armée d’Hosokawa Katsumoto, retranchée dans Kyôto. Alors qu’elle ruine les régions centrales et cause la disparition de tant et tant de grands clans, la guerre d’Ônin enrichit donc considérablement les grands familles marchandes d’Obama. De nouveau dans les années 1520-1530, les Takeda de Wakasa combattent pour les Hosokawa dans la région de la capitale.
Cette implication dans la guerre pour le contrôle de Kyôto marque le début du déclin des Takeda. Réputés pour leur culture, ils se sont montrés d’un respect rare pour les droits des propriétaires traditionnels dans leur province (la cour impériale, les aristocrates et les grands temples de Kyôto) et n’ont pas su, comme les autres daimyo de l’ère sengoku, bâtir leur prospérité sur l’accaparement des biens de ceux-ci et leur distribution aux familles locales en échange de leur vassalité. Bien que gouverneur en titre, les Takeda n’ont donc jamais réussi à établir un contrôle étroit sur les clans du Wakasa, les fameuses Sanjurôkunin shû (Trente-Six Familles Guerrières du Wakasa, dont les plus importantes sont les Awaya, Yamagata, Kumagai). La disparition de bon nombre de leurs vassaux directs au service des Hosokawa remit donc en cause leur domination effective sur la province. Enfin, dès les années 1530, le clan se déchire autour de luttes de succession au titre de soryô (chef de famille). Ses trois facteurs d’affaiblissement, économique, militaire et politique, se conjuguent pour condamner leur clan.
En 1522, Takeda Motomitsu doit quitter Nishizu pour s’établir à Nochiseyama, un château contrôlant le sud-ouest de la baie d’Obama. A sa mort en 1537, un conflit oppose ses deux fils, Nobutoyo et Nobutaka. Ce dernier contestant la domination de son aîné se replie en Echizen et obtient l’appui d’Awaya Mototaka, l’un des vassaux de son père. Nobutoyo obtient toutefois du clan Asakura, maître d’Echizen, qu’ils s’opposent à son frère. Il n’y gagne qu’un bref répit car dès les années 1550, non seulement des rebelles se soulèvent à la frontière avec Tango à l’ouest, mais Awaya Umanosuke rejette son autorité : contrôlant le sud du Wakasa, ils bloquent l’accès au lac Biwa et donc la route commerciale vers la capitale. Attaqué de toutes parts, Nobutoyo voit son pouvoir plus ou moins réduit à la seule ville d’Obama. Mais ses malheurs ne s’arrêtent pas là, puisque son propre fils Motohide tente de l’évincer du pouvoir et masse des troupes dans l’ouest de la province ! Finalement, l’intervention des Rokkaku de la province d’Ômi permet une conciliation et Nobutoyo obtient de se retirer du pouvoir avec les honneurs. Cela ne règle évidemment pas les rapports avec les anciens vassaux et Awaya comme Henmi (un nom tout trouvé pour des adversaires !) continuent à lutter contre leur ancien maître. A son avènement en 1567, le fils de Motohide, Motoaki est replié à Obama : il y est « seul, comme un samouraï sans maître »... De fait, il ne tient dès lors que par l’appui des Asakura d’Echizen. Lorsque ceux-ci l’abandonnent en 1568, le pouvoir des Takeda sur Wakasa n’est plus que nominal. De façon surprenante, ce vieux clan guerrier n’a plus pour allié vers la fin que les « princes marchands » (gôshô) d’Obama , les Nagai, Kuwamura et Kinoshita. Les navires de Kuwamura Kurôemon parviennent même à couler la flotte des Henmi en 1561 !
Après avoir détruit les Asakura en 1573, Oda Nobunaga obtient la soumission des familles locales et envoie au Wakasa son général Niwa Nagahide pour établir la « Pax Oda ». La première mesure de celui-ci est d’interdire aux temples, sanctuaires et villages d’accueillir des réfugiés et des étrangers, sans doute par crainte d’une « contagion » des Ikko ikki qui sévissent dans les provinces voisines. Il confirme en revanche et étend les privilèges des guildes, notamment d’Obama. Il intègre dans sa vassalité les Awaya, Kumagai et Henmi. Son pouvoir s’étend également sur une partie de l’Echizen, ainsi que sur quelques régions de Kaga. Hori Hidemasa, un autre général Oda se voit confier le contrôle d’Obama.
En 1582, lors du soulèvement d’Akechi Mitsuhide, le dernier des Takeda, Motoaki tente un retour en soutenant l’assassin de Nobunaga. Mitsuhide étant également officiellement l’allié des Hosokawa, les anciens maîtres des Takeda, on peut se demander si ces vieilles allégeances n’entrèrent pas également en jeu dans son choix. Malheureusement, pour lui, il choisit évidemment le camp du perdant... En revanche, Niwa Nagahide et Hori Hidemasa luttent aux côtés d’Hideyoshi contre le rebelle, puis le soutiennent successivement contre Shibata Katsuie et Tokugawa Ieyasu lors de la campagne de Komaki-Nagakute. Malgré cela, à la mort de Nigahide (1585), Hideyoshi ne transmet à son fils Nagashige que la seule province de Wakasa. Enfin, en 1587, il donne cette dernière à son propre beau-frère, Asano Nagamasa, qui en fait l’une des grandes bases logistiques pour l’invasion de la Corée. En 1593, les Asano ayant reçut la richissime province de Kai, Wakasa passe au daimyo chrétien Kinoshita Katsuyoshi, neveu de la femme d’Hideyoshi.
Dès son intégration au Tenga, Obama se développe considérablement du fait de l’abolition générale des barrières douanières décrétés par Nobunaga, qui facilite le transfert des marchandises vers Kyôto. Malgré tout la ville n’a rien de comparable avec Sakai, Nagasaki ou Hakata. En 1607, sans compter les demeures des samouraï, on ne recense que 1237 foyers, ce qui devait faire au total une population autour des 10.000 habitants. En revanche, étonnement, la ville semble avoir eu une muraille. Bon, une muraille de bois, mais quand même, ce n’était pas fréquent.